samedi 8 août 2020

La solitude du randonneur démotivé

Prologue

Après une période d'hésitation et d'incertitude, je me décide à participer au prochain brevet de 300 et des poussières, du CVJR. Ne suis-je point un randonneur ? Certes, sur le déclin, mais à la forme pas si pire en cette période de Covid, et au mental d'acier. D'autant que la météo s'annonce excellente, même si un peu chaude avec plus d'une trentaine de degrés au zénith. Le vent risque d'être négligeable et la pluie serait aux abonnés absents. De plus, suite à notre tour de Montréal de la semaine passée, Gaby me confirme qu'il s'y joindra. Super, nous roulerons ensemble, l'ami. 

Fort de cela, me voilà inscrit sur la liste des partants. Au cours de la semaine, cette liste s'allongera à 12 noms, tel les 12 apôtres ou l'armée des 12 singes ou 12 hommes en colère ou les 12 salopards, ou tout simplement, les 12 randonneurs d'un 300 estival. 

La Rive Sud est située à l'Est de Montréal

Samedi 8 août, 5h30

À l'aube d'un nouveau jour, je file vers la ligne de départ. Manches et jambes courtes, il fait déjà 18 degrés à cette heure matinale, dans le smog de la banlieue de Montréal. Je retrouve ma gang d'habitués, soit Gaby, Olivier C, les 2 Michel L et G, Ralph, Fred, Jean. Il y a un revenant, c'est Marcel M, affecté par des problèmes à l’œil mais qui revient en forme. 

Gaby tout pimpant après notre MTL Tour, last week

Richard C, vélo carbone, jantes larges et gros mollets, a déjà parcouru le brevet l'année passée. Quand à Yves LT et Stéphane D, c'est une première pour un 300. Ce sont des coursiers rapides au demeurant, qui ont déjà fait quelques 200, mais tiendront-t-ils la distance ? Je rassure Stéph en lui disant que 300, c'est juste 200 + 100 !

3 dinosaures du CVJR

Voilà donc nos 12 breveteux, souriant pour le cliché souvenir, en attendant les 6h pétantes pour décoller du tarmac de la voie maritime. 

Les 11 apôtres, le 12ème est derrière le kodak

Km 1

Départ groupé, ça commence toujours en papotant. Le temps de dire au revoir à tout la bande, que l'ami Fred se sauve devant, pour son exercice en solitaire. Radio brevet signale, un homme en tête, maillot Seattle, onze autres à ses trousses. 

Ah, la solitude du randonneur ...

Km 12 

Quittant les faubourgs de Brossard et de St Hubert, mère nature nous enveloppe par la Grande Allée. 12 gorilles dans la brume. Les singes sont lâchés sans trop forcer, 30 de moyenne bien calés dans les roues. Aisé, pas dur.

Km 18 

Sur Grande Ligne, toujours aussi défoncée, je signale à l'incrédule président que le thermomètre est descendu à 11 degrés, dans la fraîcheur de la campagne traversée. Oui Môssieu ! Tu regarderas mes stats sur Strava, ça indique même la température, cette bibite là. Michel G est le seul à avoir mis ses manchons, il rigole dans sa moustache. 

Ah, la sagesse du vieux randonneur ...

Mon électrocardiogramme sur Strava, température mini, 11 degrés, et toc !

Jean en montée de température

Km 30 

Franchissement du Richelieu, le peloton roule toujours groupé, Gaby mène souvent la danse. C'est peut-être son envie de numéro 2, confidence au départ, qui lui met le feu au derrière. Même chose pour moi, qui n'ai pas réussi à vider mes intestins ce matin, ça va me rattraper un peu plus tard. 

Gaby est aux avant-postes, il prépare une échappée

Km 38

Nous prenons la piste cyclable de la Route des Champs dans sa totalité, nouveauté du parcours, bravo Jeannot. Maintenant que cette piste est asphaltée, elle est très agréable, et bien moins dangereuse que la 112. Je discute avec Mitch, il a roulé jusque Mégantic la semaine passée, pour rejoindre sa famille. Il m'avoue qu'il trouve le vélo un peu plus dur cette année que l'an passé. Il termine souvent les brevets assez fatigué et sans trop de plaisir. 

Ah, la démotivation du randonneur ...

Au petit matin, sur la Route des Champs

Km 45

Jusque là, tout baigne dans l'huile, un départ de brevet comme je les aime. Tout à coup, le groupe ralentit brusquement. Y-a-t-il eu accrochage ? C'est Olive la victime, il vient de péter 2 rayons sur sa roue avant, en altérant sa trajectoire. Youpi, c'est l'arrêt inopiné pour aller arroser les noisetiers. Trois bons samaritains, Mitch, Ralph et Stéphane s'affairent autour d'Olivier et de sa roue endommagée. Heureusement que celui-ci est doué pour la mécanique, il bricole des avions chez Bombardier. Il assemble lui même ses roues et il a tout le matose dans la sacoche pour réparer. Chapeau l'artiste. 

3 bons samaritains assistent Olive pour ses bris de rayons

Entre temps, le reste du peloton a filé à l'anglaise vers le contrôle, distant de 8 kms. Je me retrouve seul, en chasse patates, entre les 2 groupes. 

Km 54 - Contrôle 1 - St Césaire - 8h00 

Je rejoins les 6 vlimeux, partis sans crier gare, c'est la loi du randonneur d'icitte. Quelques uns entrent masqués dans l'Ultramarde, c'est pas pour un hold-up mais pour des gâteries à bouffer ou à siroter. Pour moi, ce sera un Perrier, une chocolatine pour tout de suite et un muffin pour grignoter plus tard, et hop dans ma petite sacoche avant. La madame du dépanneur ne signe plus les cartes postales, pour cause de virus. C'est pour cela qu'il y a un petit crayon de bois, jaune de chez Ikéa, fourni avec la carte de brevet, pour remplir nous-mêmes nos cases de contrôle. Y a juste à mettre l'heure et nos initiales. Aisé, pas dur. 

C'est quand même intelligent, un randonneur ...

Ravito à St Césaire pour le 1er groupe

Les 4 autres de la troupe disloquée arrivent quelques minutes plus tard, la roue d'Olive est remise à neuve, good job les guys. Nerveux à l'approche de la prochaine étape côteuse, l'ami Gaby tire sa révérence, lâchant la célèbre phrase: catch me if you can ! Je repars à mon tour, poursuivi par le groupe des 5, pas les 4 derniers, vous me suivez là !

Jusque là, tout va bien

Km 63

Vers St Paul d'Abbotsford, sur la sympathique piste cyclable de la Route des Champs, nous filons plein gaz, emmené par Michel G. Yves et Richard le relayent de temps à autre, Jean et Marcel jasent tranquillement. Quant à moi, je m'accroche comme je peux à leurs basques, je trouve ça un peu rapide dans les faux plats. C'est qu'il y a encore des bornes à parcourir jusqu'à ce soir.

Km 76

Au bout de la piste, nous arrivons dans les rues de Granby puis reprenons une autre vélo-route. C'est là que Jean porte une accélération, accompagnée de Richard, sans Peur, duc de Normandie. Marcel et Yves font le forcing pour rejoindre les fuyards. Michel G s'est fait surprendre, il me dépasse et continue à son rythme. Je décroche gentiment. Ça tombe au bon moment, j'avais prévu de m'arrêter pour couler un bronze dans les parages. 

Ah, les envies du randonneur ...

Km 80

Ouf, voilà le Vélogare salvateur ! Je me précipite dans les toilettes pour déposer le bilan. Que ça fait du bien, je vais repartir plus léger. J'en profite pour relaxer sur un banc avant d'attaquer les côtes autour de Bromont. Je grignote mon muffin, me crème les fesses et repense à l'attaque soudaine du président. Quand il se sent bien, il appuie sur les pédales. Si tu n'as pas la force de suivre, tant pis pour toi. C'est chacun pour soi et exit les faibles.

Vélogare salvateur du dépôt de bilan

C'est dans ces moments, que la solidarité des membres des clubs cyclos européens, me manque. Je me remémore le superbe récit de JF Le Strat lors de son dernier PBP 2019. Il raconte le périple avec sa gang de 8 hommes et femme, le G8 du Club Cyclo de Guipavas, ayant l'objectif de rallier l'arrivée tous ensemble. Il leur a fallu de la discipline mais aussi de l'entraide, toujours protéger les moins bons et faire mener les plus forts. Que c'est beau cet esprit d'équipe, quelle belle récompense de franchir tous unis le fil d'arrivée, malgré les embûches rencontrées. 

Bon ben, retourne dans ton pays, le smart ! 

Ah, le dégout du randonneur immigré ...

J'ai rêvé d'un autre monde ...

Km 88

Un dernier tour de piste le long du lac Boivin puis je débarque sur la 112. Les côtes débutent par un virage à droite, sur le chemin de Saxby. Je mouline relax, les jambes tournent bien sans faire monter le cardio, je suis dans ma zone de confort. Je déboule ensuite sur Bromont, apercevant au loin les gros monts. C'est là que j'ai fait du vélo de montagne, le mois dernier avec fiston. Celui qui a effectué MTL-QC avec moi en 3 jours

Km 96

Voilà donc Bromont, sa zone de restos, de magasins et d'hôtels. Le soleil se fait plus intense, l'asphalte chauffe. Cette semaine, j'ai légèrement monté mon tube de selle, ce qui me permet de grimper assis avec plus d'aisance et de puissance. Auparavant, j'avais besoin de me lever pour soulager les jambes. Génial réglage ! 

Ah, les petits trucs du randonneur ...

Km 100

Crotte de bique, un panneau annonce la route barrée à 2 km sur le chemin Brome. Ce n'était pas prévu sur le road book. Je m'y engage quand même en espérant que ça va passer. 

Construction sur le Chemin Brome

Km 102

Effectivement, il y a un beau trou au milieu de la chaussée. Des bulldozers travaillent sur un pont souterrain traversant la route. 

Ah oui, y a plus de route !

Heureusement, un chemin a été aménagé pour faire passer les cyclos, quelle excellente idée ! Je contourne l'obstacle en marchant dans la garnotte mais cela m'a évité un détour. 

Fiou, y a un chemin de contournement

Km 105

Encore un petit changement au parcours, bifurcation à gauche vers le village de Bondville. Jean veut nous faire éviter un bout de 104, encore une bonne initiative. Il se bonifie avec le temps, merci Ride with GPS ! Je longe donc le lac Brome, offrant de jolis points de vue. Puis je file vers le deuxième contrôle de Knowlton.

Km 115 - Contrôle 2 - Lac Brome ou Knowlton - 10h56

Je rejoins l'IGA mais je ne rencontre pas mes potes de brevet. En revanche, il y a une belle file de gens masqués pour entrer dans le magasin. Je fuis donc de là pour chercher un endroit plus propice à la pause, sans trop attendre. J'aperçois un Tim juste en face ou mes compagnons se sont justement arrêtés pour se restaurer. Le groupe d'Olivier a opéré la jonction avec le groupe de Jean, ils étaient pourtant derrière et ils ne m'ont pas doublé. Bizarre, ils ont dû me passer lors de mon arrêt sanitaire à Granby. Gaby n'est pas là et Michel G non plus, ils sont sûrement en avant, à moins qu'ils ne fassent une pause ailleurs. 

Les temps changent, exit l'IGA, vive le Tim

Je vais chercher mon lunch au Tim, un croissant BLT avec coke et chocolatine. Suis chanceux, me dit Jean, il n'y a plus de file d'attente. Je m'installe sur les tables en plein soleil, c'est toujours mieux que rien. Tandis que je reprends des forces pour les fatigues à venir, un premier groupe repart, formé de Jean, Marcel, Richard, Yves et Stéphane. Ceux-là, je ne les reverrais plus. Quelques minutes plus tard, ce sont Olivier, Mitch et Ralph qui prennent le bord, m'abandonnant à mon triste sort. J'en ai presque la gorge nouée. 

Tu n'as qu'à pédaler plus vite, le smart ...

El mayo yaune surveille le repos des guerriers

Tant qu'à être tout seul, je déguste tranquillement mon repas. Puis je m'enduis de crème solaire, je change mon bandeau pour ma fameuse calotte, masquant mon crâne dégarni des rayons UV. Les heures chaudes s'en viennent. Repus, requinqué, revigoré, rhabillé, remaquillé, c'est un nouveau départ, Han Solo ! 

Ah, l'humour plate du randonneur ...

Ma pitance au Tim, y avait plus grand chose

Km 130

South Bolton, déjà 15 bornes que j'essaye de digérer en m'échinant dans les sautes collines de la 243, nouvellement asphaltée, oh joie ! J'ai du mal à déterminer si le vent me pousse ou me contre dans ce secteur. Une chose est sûre, c'est qu'il ne souffle pas fort, ce qui est appréciable, en solo. 

Km 134

Il n'y a pas d'air et je n'ai aucune sensation dans les jambes, peu de puissance, bizarre. J'avale quelques jujubes pour me donner de l'énergie. Le temps qu'elles passent dans le sang et elles font leur effet. Je me sens plus d'attaque pour enfiler quelques côtelettes jusqu'à ma prochaine pause, dans 10 bornes. 

Le célèbre dépanneur Fusée de la 243

Km 144

J'atteins Mansonville, que de people dans le bled. Tous les québécois font du tourisme au Québec. Des motos, des cyclos, des autos, des piétos, ils sont partout. Jamais vu autant de monde à cet endroit. C'est vrai que d'habitude, on ne fait pas ces brevets en période de vacances, ni en pandémie de Covid. Ceci explique cela. 

Les québécois passent leurs vacances au Québec

Vive l'été et la foule des touristes. Au dép habituel, je m'achète un Perrier que j'avale, accompagné de ma chocolatim. Tenez les muscles, voici un peu de fuel. Il en faut car la Scénic est pointée à 17 kms.

Reprise d'énergie à Mansonville

Km 148

J'attaque la vallée de la Missisquoi aux paysages verdoyants. Des hordes de vacanciers s'éclatent dans la fraîche rivière qui coule en contrebas. Pendant ce temps, je peine dans les faux plats et les côtelettes surchauffées. J'irai bien aussi faire saucette et trempette. Et bien non, je préfère me faire cuire à petits feux avant d'affronter the difficulté of the brevet.

Km 161

Voici enfin le juge de paix du parcours, Scenic Road et sa bosse de 3 km. Pas de panique à la Jamaïque, je commence l'ascension à la moulinette, sur le 26x27, soit un tour de pédale pour un tour de roue ! Doucement mais sûrement, je grappille chaque mètre de dénivelé, y a pas le feu au lac, comme on dit à Genève. Et cette chaleur qui continue d'extraire toute l'eau de mon corps, faut pas oublier de s'hydrater pour compenser.

Km 164

Altitude 350 mètres, ouf, toujours content d'arriver au sommet. Pour ensuite basculer dans la descente qui m'emmène directement à Abercorn. Gaby est déjà passé, maintenant ça va être dur de le rattraper. On roulera ensemble que je disais, ouin, mon œil !

Km 169

Abercorn et sa maison bizarre en face du croisement de la 139. C'est la remontée vers Sutton, j'ai soif, j'ai faim, je ne sais plus, j'en ai plein mon casque. Il est temps d'arriver au ravito.

Km 178 - Contrôle 3 - Sutton - 14h15

Il n'y a plus de Subway où je pensais m'arrêter. Je vais voir à l'IGA, des fois qu'il y aurait encore des breveteux égarés. Bingo ! Je salue Gaby qui est sur son départ. Dommage, on aurait pu rentrer ensemble, je ne négocie même pas. Lui aussi me disait, lors de notre MTL tour, qu'il n'était plus emballé à rouler de longue ride nocturne à vélo. Même chose pour l'ami Marcus, qui a même abandonné au dernier 400, fait rarissime pour lui dans ses innombrables participations aux brevets.

Le trio ROM repart de Sutton

Il reste aussi le trio ROM, Ralph, Olive, Mitch, de retour de l'escale technique. Ils ont déjà mangé et s'apprêtent à repartir aussi. Je vais me chercher ma pitance au magasin, masqué comme le concombre du même nom. Pour changer, encore un croissant BLT, coke et quelques amuses bouches, genre raisin fromage noix. À mon retour, l'affaire ROM trio se remet en route. Je prends machinalement quelques clichés, histoire de socialiser. Personne ne m'a demandé si ça allait, si je vais continuer sans problème ou si je vais mourir bientôt. C'est toujours chacun pour sa pomme. 

Ah, la tristesse du randonneur ...

La triste solitude du randonneur

J'ingurgite ma collation d'énergie. Même si je n'avais pas faim, je n'aurai pas d'autre choix que de mettre le charbon dans la fournaise. Sinon, pas de retour à vélo ! Allez mon gars, faut te remotiver ! Il te reste juste 135 bornes à pédaler. Deux mecs musclés en gravel bike, garent leur belle monture proche de moi, pour une pause ravito. Je les salue, me prépare et disparais du décor.

Km 180

Bonne côte à la sortie de Sutton. Comme on l'aime celle-là, l'estomac plein, les jambes coupées après l'arrêt forcé. Je commence l'étape inter-contrôle la plus longue, soit 87 km de routes ondulées puis plates, aux deux sens du terme. C'est à mon avis, la plus dure du brevet, car il fait gérer des haltes intermédiaires. D'abord pour se ravitailler, puis surtout en solo, pour maîtriser son esprit afin de ne pas craquer et tout crisser là. 

Ah, le mental du randonneur ...

Le mental du randonneur ... en piteux état

Km 192

Les vallons de la 215 terminés, je rattrape la 104 passagère. Devrait y avoir du vent contraire, bof, je m'en fous, plus rien ne me surprend. J'avale quelques jujubes, synonyme d'énergie, cela semble faire son effet euphorisant. Mais est-ce bien réel ou un est-ce un effet placebo, mystère et boules de jujube. Mon prochain arrêt est pointé à Dunham avec une crème glacée en récompense.

Une magnifique journée en Estrie

Km 205

De peigne et de misère, je me traîne jusque Cowansville. Ma moyenne générale était montée à 28 ce matin, grâce à la dynamique du peloton. Elle a maintenant descendu à 25, mais ce n'est plus dans mes préoccupations, désormais. Encore un petit effort sur la 202 bien asphaltée, elle aussi, bravo Québec. Bientôt la pause, oh joie !

Km 212

L'oasis de l'Ultramar de Dunham se présente enfin. Bien entendu, il n'y a plus personne, la fin du brevet va être longue. Je me mets un Perrier dans le gosier, un autre dans le porte bidon, j'avale mon magnum framboise. Il ne reste plus trop de place pour la 2ème moitié du croissant BLT de Sutton. Zou aux poubelles, j'ai mis un autre sandwich en réserve dans ma sacoche. Je récupère et me prenant en photo. Ce sera rigolo de revoir ce moment de décrépitude, dans quelques jours. Puis je repars.

Moment de décrépitude

Km 214

Je poursuis sur la 202, ça chauffe encore, 30 degrés au Garmin. Peu de zone d'ombre, tanné du soleil, tout comme ma peau ! Toujours penser à boire pour ne pas se faire prendre par la déshydratation. C'est la route des vergers, ça me distrait un peu.

Km 224

Bifurcation à droite à Stanbridge, je remonte plein nord. Le faible vent doit m'être favorable, il le faut, c'est psychologique. J'enchaîne les fameuses routes plates parmi les fermes et les champs. Faudrait voir pour un autre retour, plus attrayant, mon cher planificateur de parcours. Le prochain but est fixé, c'est Farnham dans 25 bornes. On y croit, on se bat. Qu'est-ce que je fous là ? Je rêve d'être chez moi, dans mon canapé devant la téloche, à siroter une bonne bibine bien fraîche.

Pendant ce temps, à Stanbridge

Km 232

St Ignace, c'est long. Je n'arrive pas à monter la moyenne, 24 est ma zone de confort. Je n'essaye même pas de forcer le rythme. L'idée, c'est est de finir ce brevet. 

Ah, la patience du randonneur ...

Km 249

Enfin la bretelle de contournement de Farnham, je ne m'arrête pas au Tim, faut faire un détour ... de 200 mètres. Flemme flemme, comme dirait fiston ! Je pose mon Piuma à l'ombre sur un pont, il a droit au repos, lui aussi. Je m'enfile le Perrier du porte bidon et la moitié du sandwich de Dunham. Plus que 16 bornes jusque St Césaire, je vois le bout du tunnel.

Le repos du Piuma, grrrr

Km 255

Je suis à nouveau motivé, les kilomètres s'égrènent, plus que 10. Les ombres envahissent la route. C'est la fin de l'après-midi, youpi !

Km 265 - Contrôle 4 - St Césaire - 19h03

J'entre dans St Césaire en attrapant la Route des Champs pour déboucher direct sur le Subway. Je n'ai plus envie de sandwich mais de trucs plutôt liquides, comme une soupe au poulet nouille, de la compote de fruits et du Pepsi bien frais. En prime, je refille mon Camelbak d'eau et de glace avec une nouvelle pastille de sodium, s'il vous plait.

Je mange dehors puisque c'est interdit dedans. Assis et adossé au mur, j'aperçois Ralph, solitaire, à la dérive, lui aussi. Il me dit qu'il souffre de la chaleur, qu'il est pas mal rincé et qu'il trouve ça difficile. Il a rejoint Gaby, et Mitch je crois, au McDo, ils se restauraient. Ils sont repartis depuis 20 minutes et lui rentre solo. Je lui souhaite bonne route puis termine mon repas. C'est délicieux une soupe bien salée. Et la compote, bien fraîche, encore un excellent choix. Je positionne mes lumières avant et arrière puis c'est parti pour le rush final, les dernières 48 bornes.

Ralph, en trio à Sutton, en solo à St Césaire

Km 270

La température a enfin baissé, le soleil descend sur l'horizon. C'est redevenu agréable, tout comme ce matin, au même endroit, sur la Route des Champs. Les forces sont revenues avec les glucides ingurgitées, l'eau fraîche de mon Camelbak est bien appréciée. Le vent est quasi nul, ça roule parfaitement sur la piste.

À la fin du jour, sur la Route des Champs

Km 278

Je stoppe pour changer mes écouteurs Bluetooth par des filaires, la batterie a rendu l'âme après 14 heures de service, un exploit. Je me tartine une dernière fois de crème à cul puis m'enfonce dans la nuit, m'enveloppant de son manteau obscur. Le goût d'écrire des poèmes me reprend soudainement. Pour le moment, tout ce que je reprends, c'est  la 112 à Marieville.

Km 286

Richelieu est atteint, la nuit est tombée, je saisis l'instant sur la pellicule numérique. Y a du trafic sur la 112 traversant Chambly. Heureusement, ça roule aux toasts, j'ai repris du poil de la bête.

L'arrivée de la nuit me sauve de la chaleur

Km 292

Je quitte la dangereuse mais éclairée 112 pour reprendre le chemin Bellerive, dans la noirceur totale, ce n'est pas plus sécuritaire. Deux autos derrière moi s'impatientent, la deuxième klaxonne la première, je semble les déranger. Partageons la route, qu'ils disent sur le panneau. Pourtant mes lampes fonctionnent à merveille et je me fais tout petit sur le bord de la chaussée. Mais je suis peu de chose face aux monstres d'acier, encore plus excités par un samedi soir.

Km 294

À Carignan, détour comme je l'avais prévu et mentionné à Jeannot. J'y étais passé cette semaine en sortie d'entraînement. Bifurcation donc par Juliette. Marielle m'appelle sur mes écouteurs, je lui parle sur mon main libre. Elle me croyait déjà arrivé, je lui raconte ma dure journée. On discute quelques minutes, ça passe le temps en roulant.

Km 300

Yeah, le mur du 3x100 est franchi. Je rattrape Grande Allée, super motivé, puis le Quartier Dix 30.

Km 306

Lapinière, je sprinte pour passer Taschereau à la lumière verte. Je manque de m'enfarger sur une plaque d'égout bien enfoncée dans l'asphalte. 

Ah, le dégoût du randonneur ...

Km 312 - Contrôle final - St Lambert - 21h49

C'est l'arrivée au dépanneur, ouf, c'est terminé, ce fut compliqué. De retour vers mon condo, ma roue avant se plante dans une énième craque. Encore une fois, je l'ai échappé belle. Je tourne les clés de mon appart, la fête est vraiment finie.

Mon 15ème 300 bornes est bouclé !

Quand aux résultats des autres participants, c'est anecdotique. L'ami Super Fred a, une fois de plus, écrasé toute concurrence. Il a été suivi d'un groupe de 7 mercenaires, c'est toujours plus facile et plus rapide en peloton. Les 2 néophytes du jour, Yves et Stéphane ont bien performé, seront-ils attirés par d'autres aventures, encore plus longues ? 

Finalement, les 4 derniers arrivants méritent une mention spéciale, ce sont Mitch, Gaby, Ralph et Bibi. Par leur ténacité et leur abnégation de moines solitaires, ils ont terminé leur errance au sein de mère nature, et ont rallié la base, doucement mais sûrement. À eux, je dédie ce récit.

D'après le résumé du président, je n'ai pas dû participer au brevet, il n'est faite aucune mention de mon nom. J'ai donc dû faire un mauvais rêve, très certainement. 

Ah, l'Alzheimer du randonneur ...

(Note de l'auteur: Jean a ajouté mon nom à son résumé, suite à ma remarque ;-)

Épilogue

Ce n'est pas facile de réussir des brevets quand on n'a pas de motivation. Quand on n'a pas d'objectif à atteindre, pas de but qui nous aide à franchir le cap d’écœurement du trop plein de kilomètres. Heureusement, la force du mental peut aider à ne pas tout abandonner.

Il faut vraiment aimer le vélo pour pédaler 240 bornes en solo, et ne pas tout crisser là. Dommage qu'il n'y ait pas d'esprit d'équipe au sein du club. Ou des groupes par niveau, comme cela se fait dans certains clubs de cyclo-sportifs, genre les Increvables. Cela rendrait les longues distances plus attrayantes, moins exigeantes et plus rassurantes pour les débutants. La devise serait, on part ensemble, on reste ensemble, on souffre ensemble, et on rentre ensemble. Il est permis de rêver.

Rendu à mon 15ème brevet de 300, sur un parcours quasi inchangé en 9 ans, une certaine lassitude m'a envahi. Pour me changer les idées, j'irai bien faire un MTL-QC, la semaine prochaine. 

Avec ou sans Gaby ! Peut-être qu'on roulera ensemble ...

Mes stats sur Strava

Lire aussi les pertinentes observations et réflexions d'un ami cyclo suite à ce petit récit sans prétention, il y aurait matière à débat, le sujet est lancé ...

10 commentaires:

  1. Qu'il est bon de lire un texte de cet acabit. De la poésie, de la réflexion et de la sagesse philosophique, j'aime bien.
    "Si Boileau avait fait du vélo,
    serait il arrivé à ce niveau,
    et comme le chantait Rousseau,
    sans tomber dans le ruisseau ?"

    Il y a de la tristesse dans ce texte, et c'est ce qui met en valeur les jolis ressorts qui vont déployer, j'en suis certain, une énergie nouvelle, de nouvelles routes à découvrir, une envie de partir à leur conquête.

    Olivier J

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    1. Merci Olivier, toujours un plaisir de lire tes comms, c'est réconfortant en ces temps de démotivation sur les longues distances. Tu as bien compris que mon histoire d'amour avec le vélo est loin d'être terminée. Je pense fortement que l'ambiance du club y est pour quelque chose, je propose des solutions. Mais je ne pense pas que ça changera au CVJR ... Ah, comme l'état d'esprit des clubs cyclos de France me manque, une toute autre synergie. Et toi, quels sont tes projets cyclos ? À un de ces jours, sur la route ou devant une bière !

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    2. Difficile de rouler avec une bière, j'ai préféré répondre par e-mail :)

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    3. J'ai retrouvé sur le web l'article de JF Lestrat.
      Une bonne base de réflexion pour démarrer l'idée de club et de membres. Le CVRM est aujourd'hui un club organisateur de brevets, ce qui est une base pour se qualifier pour PBP, mais ce n'est pas un club de randonneurs.

      Olivier J

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    4. Super Olivier que tu aies trouvé le lien de l'article de JF (sur Randonneurs BC!), je m’apprêtais justement à le mettre sur mon blog. Il m'avait en effet envoyé son document. Je vais mettre le lien aussi dans mon récit. Bon travail d'équipe !

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  2. J'ai bien roulé le 300 jusqu'à Sutton. Mais, à partir de Dunham j'ai commencé souffrir. Quand je t'ai vu à St-Césaire, j'aurais dû faire une pause pour une soupe aussi parce que j'étais beaucoup plus déshydrater que je pensais. Même avec toutes tes pauses, tu as terminé seulement 20 minutes après mois. En regardant plus tard, moi aussi, j'aurais dû prendre ces pauses-là et rouler avec toi. 20-20 hindsight. Cette année je roule seul plus souvent aussi. Il y a moins de monde cette année. Mais c'est un club un peu plus rapide que d'autres clubs d'Audax. À chaque année je fais quelques brevets ailleurs (Ottawa, UK). À Ottawa je suis normalement parmi les plus rapides, et en UK je suis souvent parmi les plus lents. Mais, en UK les brevets sont tellement populaires qu'il y en a toujours autour de moi. Peut-être que la prochaine fois on roule plus ensemble!

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    1. Merci Ralph pour ton comm en français et tes remarques intéressantes. C'est vrai que c'est mieux en Europe, UK est comme la France, beaucoup de clubs avec beaucoup de cyclos, tu trouves toujours quelqu'un qui roule à ton allure. Icitte, ce n'est pas simple car les clubs de longue distance sont rares, je ne connais que le CVRM à Montréal et même au Québec. Pour la prochaine fois, on peut rouler ensemble et même inviter d'autres personnes à se joindre à nous en proposant de rester ensemble et de s'adapter aux plus faibles, si tout le monde est d'accord. C'est aussi simple que ça. Pour cette année, je pense faire le Pop et le 200 avec des amis, c'est tout pour cette année. Merci encore et à plus.

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  3. Quel beau récit Pascal, Une belle philosophie et la poésie en plus. Concernant ta réflexion dans ton épilogue, rien ne peut se passer sans une stratégie de recrutement. Il est plus difficile de mettre en place des groupes de vitesse ou des principes de fonctionnement avec seulement 12 participants... Je suis certain qu'il nous manque rien pour avoir une fréquentation tel que l'on voit à Seattle ou en BC. Juste du marketing pour nous faire connaitre et inspirer de nouveaux cyclistes à nous rejoindre. C'est certain que le club a du travail sur la planche la dessus.

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    1. Merci Fred pour ton comm.
      Bravo pour ta perf sur le 300. Tu es mon Super Fred !
      Bien d'accord avec ta proposition. Yapuka, Ifokon !
      Y a du pain sur la planche, y a juste à vendre les baguettes ;-)
      A+

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    2. Le CVRM a son site web, c'est un bel outil de communication.
      J'ai vu sur Strava qu'il y a même un club dédié CVRM avec un administrateur.
      Deux petites choses alors à mettre en place
      - Publier sur Strava les randonnées lorsque leur date est proche.
      - Intégrer le widget Strava au site du CVRM.

      Il y a des clubs sur Strava dont l'activité est proche de celle du CVRM (randonnée de vélo, montréal, québéc, canada ...) il ne manque pas grands chose pour communiquer.
      Il y a également les challenges Strava qui seraient un bon moyen de fidéliser au niveau participation.
      Sans parler de la distinction de Super Randonneur 5000 qui est un formidable challenge autour de Flèches Vélocio, BRM et Paris Brest Paris, uniquement des activités auxquelles le club participe voire même organise. C'est l'ACP qui gère le Super Randonneur 5.000 depuis des 10zaines d'années.

      Pour toutes ces idées, il y a bien sur des contre-arguments. Faut savoir ce que l'on veut !

      Olivier J

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